Auteur : Liam

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Canis Lupus
Chapitre 18

Heero se tut, se remettant doucement de sa longue tirade. Duo le regardait avec une tête de poisson Lune qui aurait abusé du cannabis.

Les autres aussi étaient bien un peu étonnés, mais cela se voyait moins.

Finalement Treize haussa les épaules et passa un bras autour des épaules de son beau-fils.

- Je ne l'aurais pas dit ainsi mais c'était l'idée générale. Je me sens responsable de ce qui lui arrive. Pas seulement parce qu'il m'a sauvé la vie mais parce qu'il est l'un des nôtres à présent, et qu'il est un Lien. En tant que Lien je crois que sa place n'est pas à l'hôpital, et que nous devons agir, pour son bien et pour le nôtre.

Il leva une main pour interrompre la discussion qu'il sentait poindre.

- Nous l'avons fait admettre ici parce que c'est ce que nous devions faire en priorité afin d'avoir une idée précise de son état, et aussi parce que nous étions dépassés. Mais à ce jour, les docteurs Pô et Gordon ont reconnu qu'ils ne pouvaient rien faire de plus. Alors je crois qu'il est temps pour nous d'agir comme les Anciens, puisque notre science ne nous aide pas. En tant que métamorphes nous savons que la nature est toute puissante, qu'il n'y a qu'elle qui décide qui doit vivre ou mourir quoiqu'en pense les hommes dans leur orgueil immense. Nous ne contrôlons rien, nous n'avons jamais rien contrôlé, nous nous plaisons à le croire parce que c'est rassurant, et parce que cela nous permet de faire ce que nous voulons dans l'unique but d'accumuler plus de richesses et plus de pouvoir. C'est un leurre et un jour nous devrons payer. Mais nous, nous savons, et c'est la raison pour laquelle nous devons conduire Wufei la bas et avoir la foi.

Duo acquiesça sans un mot. Il enveloppa Wufei dans la couverture de l'hôpital et dans deux autres que lui tendit Quatre. Il espérait que c'était vraiment la bonne solution et qu'ils ne commettaient pas une erreur. Dans le fond cela paraissait logique, enfin dans la logique qui était la leur.

C'est ainsi que les cinq métamorphes conduisirent le Chinois au coeur de la forêt. Ils firent une partie du chemin en Land Rover, tant que le sentier resta praticable mais il fallut continuer à pieds sur près de deux kilomètres.

Ils débouchèrent dans une clairière entourée de séquoias si immenses qu'il était facile de deviner qu'ils avaient vu passer bien des années. Ils ressemblaient à des gardiens, fiers et puissants. En son centre, toujours parfaitement dessiné, il y avait le cercle de pierres dont ils avaient vu des illustrations, sur chacune d'elle un signe différent. Pour la plupart c'était de petites représentations primitives d'animaux, d'arbres, de fleurs, d'éléments. L'espace sacré avait à peu prés trois mètres de diamètre et il était complètement vierge. Il n’y avait que de la terre. Aucune plante, aucune mauvaise herbe, et pas un flocon de neige, alors qu'elle tapissait toute la région.

Duo déposa Wufei au centre, enveloppé de ses couvertures. Les métamorphes se dévêtirent. Cinq loups se couchèrent autour du Chinois, et même en partie sur lui, afin de le protéger du froid grâce à leur fourrure et à leur chaleur corporelle. Duo posa sa tête sur sa poitrine et une longue attente commença.

Parties presque à l'aurore, ils virent bientôt le soleil grimper au plus haut dans le ciel, puis redescendre petit à petit. Malgré leur angoisse, les loups sommeillaient la plupart du temps. La neige recommença à tomber, balayée par des rafales mais sans pénétrer le cercle, c'était comme s'ils étaient entourés d'une bulle invisible qui les aurait coupée du monde. C'était étrange de voir les flocons s'éparpillaient uniquement hors du cercle, de voir les arbres plier sous le vent sans ressentir le plus petit souffle d'air. La température restait basse naturellement mais rien à côté de ce qu'elle aurait dû être.

Wufei percevait des présences sur les bords de sa conscience, en particulier celle de Duo qui ne l'avait pas quitté. C'était comme s'ils étaient au-delà d'une porte, il avait connaissance de leur attente, mais sans que cela soit clairement formulé dans son esprit. Pour lui le temps et l'espace n'avaient plus grande signification.

Au début il avait eut un peu peur, perdu au milieu de prairies immenses. Il avait appelé. Duo surtout. Mais rien ni personne ne lui avait répondu. Il était resté un long moment immobile, indécis. Était-ce cela la mort, cette immensité verte de vallons et de montagnes ? Et maintenant ? Qu'allait-il se passer ? Devrait-il errer à l'infini ? Y avait-il quelque chose, ailleurs, plus loin dans les collines ou au-delà ? Aucun moyen de savoir sans s'y rendre. Alors il avait marché. Pendant de longues heures. Sans croiser autre chose que de petits animaux, campagnols, renards, oiseaux, lézards... Mais aucune présence humaine ou qui y ressembla. Sans trop savoir pourquoi, ni pour où, il avait continué à avancer. Le ciel était d'un bleu limpide, et le soleil brillait, sans brûler, juste assez pour que la chaleur soit agréable. Il sentait ses cheveux voler sous l'impulsion d'une douce brise. Des chevaux sauvages passèrent à quelques mètres de lui, au grand galop, tout en puissance et en noblesse. Un spectacle prodigieux dont il s'était gorgé. Puis il avait traversé une petite rivière dans laquelle un ours brun pêchait sans s'occuper de lui. Tout était à la fois très matériel et très irréel. Il avait senti l'eau, un peu froide, mouiller son pantalon, et pourtant tout était trop parfait. Cette beauté sauvage qui l'entourait avait peut-être existé fut un temps mais aujourd'hui... Aujourd'hui elle avait disparu, détruit en grande partie par les hommes, avides d'espace, ne songeant qu’à leur bien être et à l'argent. Ne voyant que possession là où il y avait don. Reléguant bêtes et hommes dans des recoins et jusqu'à la mort si nécessaire. Écrasant, dévastant pour s'approprier toujours plus. Partager avec les autres espèces et les autres ethnies ? Bien sûr que non. Pourquoi partager et faire des efforts alors qu'il est si simple de tuer et de détruire !

Arrivé sur les hauteurs d'une vaste colline Wufei pu voir un spectacle qui n'existait plus et qui lui brûla presque la rétine par son aspect majestueux. Un troupeau, comptant des milliers de bisons... Énormes et sereins. Ils paissaient dans la quiétude de l'après midi. Au milieu, un animal d'une blancheur immaculée... Wufei regarda autour de lui, songea à ce qu'il avait vu durant son périple et la conscience douloureuse de ce que l'Homme avait perdu ou était en train de perdre le submergea.

- Et oui... Murmura la voix. Mais c'est ainsi, rien ne stoppera cette marche... L'humanité se consumera... Et des cendres naîtra la fertilité.

Wufei se retourna pour voir qui lui parlait et il se retrouva nez à nez avec le bison blanc. Incrédule, au-delà de la peur, il regarda le troupeau ou l'animal ne se trouvait plus. C'était naturellement impossible, mais le déplacement physique du boeuf était-il plus incroyable que le fait qu'il lui ait parlé ? Le Chinois se sentait dépassé et ramené au temps de sa folle jeunesse, lorsqu'il avait commis l'imprudence d'absorber des champignons hallucinogènes pour en constater l'efficacité. Dans la réalité, le simple fait de se trouver aussi prés d'un animal sauvage de cette taille l'aurait sans doute horrifié.

- Mais nous ne sommes pas dans la réalité...

- Et ici les bisons parlent.

Le jeune homme entendit un petit rire à la fois moqueur et tendre.

- Il y a longtemps, lorsque tu étais enfant, il te parlait déjà mais tu as oublié.

- Alors c'est pour cela que je ressens cette impression de déjà vu.

- Oui. Tu aimais beaucoup venir ici...

- Mais c'est la mort !

- Non, pas vraiment. La mort ce serait appartenir à tout cela pour toi et pas uniquement t'y promener.

- Je vis alors ?

- Bien sûr. Tes amis attendent d'ailleurs ton retour avec impatience. Surtout ce délicieux petit loup roux. Quel caractère impétueux !

- Duo... Pourquoi suis-je ici ?

- Pour reprendre des forces. Sauver le chef était important pour leur survie et pour celle de beaucoup d'humain. Il a raison, vous n'êtes pas fait pour vous mélanger à eux, ils ne sont pas prés pour vous. Ni vous pour eux. Un jour peut-être, mais pas maintenant. Je ne demandais pas le terme de ta vie en contre partie de sa guérison, mais ton sacrifice était très noble et révélateur de la pureté de ton âme. Non ta vie c'est en vivant que tu vas me la consacrer. Tu seras mon guerrier pacifique. Tu seras ma voix. Tu dois continuer à avancer, vous devez tous avancer. L'Humanité tout entière.

- Mais avancer vers quoi ? Tu as dit qu'il n'y avait pas de retour en arrière possible.

- Rahh je te parle d'avancer et tu me parle de retour ! Les humains ! Certains se jettent vers l'avenir comme des chevaux aveugles et paniqués alors que d'autres refusent l'obstacle le plus bas par crainte du changement. Toi tu seras le guide mes louveteaux, ils sont l'avenir. Ce sont mes enfants. Tu es l'aîné d'entre eux à présent. J'ai besoin d'eux et ils ont besoin de moi. Tu es le cordon ombilical entre nous.

- Je n'ai même pas été capable de diriger ma vie...

- Parce qu'elle devait te conduire ici.

- Vous voulez dire que je n'en ai jamais été le maître ?

- Tu poses la mauvaise question, tu poses toujours les mauvaises questions et ce depuis que tu es tout petit. La bonne, c'est, où ta vie doit-elle suivre son cours pour s'épanouir ? Les humains font beaucoup de cas du libre arbitre parce qu'ils pensent, mais tout cela est très relatif. Regarde cette fleur là bas. Elle ne choisit pas où pousser... Mais elle a besoin d'un certains nombres de chose pour vivre et je pourvois à cela. Si elle avait la faculté d'avoir une pensée construite elle pourrait choisir de ne pas se tourner vers le soleil, de ne pas absorber l'eau de la terre, de refuser abeilles et papillon, mais elle ne connaîtrait jamais la perfection de ce qu'elle est.

- Les humains sont plus évolués qu'une fleur. Déclara Wufei d'un ton pincé.

- Crois-tu ? Pourquoi ?

- Nous pensons, construisons des civilisations, nous... Je ne sais pas c'est une évidence.

- Crois-tu que la pensée soit vraiment un don Wufei ?

- Bien sûr !

- Vos civilisations finissent toujours par s'écrouler.

- Nous évoluons.

- Vous tâtonnez. Vous êtes comme des plantes parasites sur cette terre, vous vous nourrissez d'elle sans rien offrir en compensation, vous briser le cycle naturel. Vous refusez la mort et c'est ce qui vous pousse vers votre chute. Parce que ce n'est que cela l'humanité Wufei, un enfant qui a peur de ce qu'il ne connaît pas et qui pour annihiler cette terreur détruit sans considération et sans penser.

Le jeune homme ne voyait pas comment nier une telle évidence.

- Je ne comprends pas ! Je ne comprends pas quel est mon rôle dans tout cela.

- Nous préserver. Préserver le lien entre moi et la meute. Entre moi et les humains qui voudront écouter. Des bisons blancs sont nés au cours de ces dernières années, et d'autres naîtront encore. Ceux qui peuvent comprendre le signe se joindront à nous. Ils finiront par entendre ma voix.

- Et qu'est-ce que cela apportera. Ils ne seront jamais assez nombreux...

- Ils le seront bien plus que tu ne crois... Mais tu penses en temps humain c'est pour cela que tu ne peux concevoir ce que je dis. Moi je te parle de centaines d'années.

- Mon temps est humain. Il est limité.

- Allons, tu sais que ce n'est pas vrai. Tu sais que la mort n'est pas une fin en soit, juste une transition. Tu l'as toujours su. Va maintenant, ce pauvre loup roux est tellement stressé qu'il finira par en perdre son si beau pelage. Tu veux que je te dise un secret ? Je suis fier de tout mes enfants, tous sans exception, même ceux qui mériteraient quelques coup de cornes bien placés, mais parfois il m'arrive d'éprouver une toute petite préférence... Et celui là m'est particulièrement cher. Il était si chétif et sa vie si incertaine... Une toute petite boule de poils roux qui s'accrochait à la vie comme je n'avais encore jamais vu un nouveau-né le faire... Prends soin de lui Wufei, il est fort mais aussi terriblement fragile, il suffirait de si peux pour le briser... Va maintenant.

- Attendez ! Vous avez parlé de ma mère tout à l'heure. Où est-elle ? Pourquoi m'a t-elle abandonné ?

L'animal se leva puis s'approcha de la fleur qu'il avait indiquée à Wufei quelques minutes auparavant. Une petite fleur des prairies, magnifique par sa simplicité.

-Elle est nous maintenant. Il y a quelques années, une jeune fille est arrivée à Wolf Lake. Elle avait une tumeur cérébrale qui ne lui laissait que quelques mois. Elle est venue pour mourir ici. Mourir dans mes bras même si sa pensée ne le lui formulait pas ainsi. J'ai prolongé sa vie et elle m'a offert son corps pour que tu puisses être engendré. Elle savait que ta naissance serait sa fin mais ta venue était sa plus grande joie.

- Mais...

Le Chinois n'eut pas le temps de poser d'autre question. Il lui sembla soudain tomber dans les ténèbres à une vitesse vertigineuse. Reprendre conscience de son corps et de l'environnement fut une terrible douleur. Il entendit un animal gémir tout prés de lui et ouvrit les yeux sur une truffe inquiète qui lui donnait de petits coups sur la joue.

Il parvint à extraire sa main pour gratouiller l'animal derrière l'oreille. Sa gorge était sèche et parler lui semblait un effort encore trop grand. Il constata la présence des autres, y compris celle de Treize. Il était heureux de les voir, même s'il n'aurait pas cru cela possible il y a encore quelque jour. C'était comme voir un tableau sous un angle différent, c'était la même peinture mais les tons paraissaient différents vus à la lumière.

Les métamorphes pressés de ramener Wufei à l'abri reprirent leur apparence humaine.

- Alors c'est ça le paradis...

Sa vois était grinçante et il avait l'impression que ses cordes vocales avaient été remplacées par du papier de verre.

- De superbes mecs tout nus qui courent dans les bois. Plaisanta-t-il.

Heero hacha la tête avec un sourire en coin.

- Je crois qu'il est hors de danger.

Ils se rhabillèrent et cahin-caha ramenèrent Wufei en ville. Chez Treize et Duo. Ils le portèrent sur la totalité du chemin. Même s'il avait voulu se la jouer viril, il en aurait été incapable, terrassé par la fatigue. Sa tête reposait au creux de l'épaule du jeune homme à la natte et il compris alors ce qu'avait voulu dire l'esprit. La question est de savoir où ta vie peut s'épanouir. C'était sans conteste dans ces bras là.

A suivre.

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