Auteur : Liam
E-mail : liam63tiscali.fr
Disclaimer : Rien n'est à moi.
Canis lupus
Chapitre VIII
Wufei laissa sa moto et décida de passer à travers bois. S'il prenait par la route, même à pieds, il était fort possible que quelqu'un le voit. Son plan, pour autant qu'il en ait un, était simple : En empruntant cette direction il escomptait parvenir près de la maison de Trowa par le Côté gauche, là où se situait la fenêtre de sa chambre. Il jetterait un coup d'oeil et ensuite... Ensuite c'était à cet endroit précis de son fabuleux plan que le navire prenait l'eau, parce qu'en toute honnêteté, il devait bien admettre que ce qu'il faisait ne servirait probablement à rien. Peut-être parviendrait-il à parler à Trowa... C'était la seule possibilité. Il fallait que le jeune homme manifeste le désir d'être soigné, Wufei avait dans ce but un enregistreur de poche, il prendrait une photo et apporterait le tout aux autorités, à l'extérieur du compté naturellement. Mais si Trowa soutenait le projet de ses amis de le garder dans cette maison il ne pourrait rien y faire, car on alléguerait alors la liberté de culte. Tandis qu'il marchait, les propos de Duo ne cessait de le turlupiner comme une mouche agaçante : "En réalité tu n'en as rien à foutre de lui, tu le connais à peine. Ce n'est pas Wufei qui s'inquiète, c'est le journaliste qui ne peut pas s'empêcher de mettre son nez partout. Qu'est-ce que tu cherches ? Un super scoop qui te remettra sur les railles ?" Et si Duo avait raison ? Si c'était ce qu'il cherchait dans le fond ?
Il n'eut hélas pas l'occasion de se poser davantage de questions sur le bien-fondé de son entreprise, juste devant lui, un peu en hauteur sur un talus, un loup au pelage blanc et gris acier apparut entre les arbres. Il était à quelques mètres et lui coupait le chemin. Le Chinois s'immobilisa et attendit, l'animal choisirait peut-être de s'éloigner, le gibier abondait dans la forêt, il ne devait donc pas être affamé. Cette idée ne l'empêcha pas néanmoins de regarder autour de lui si quelque chose pouvait lui servir d'arme, juste au cas ou. Il regrettait amèrement d'avoir laissé son casque avec la moto, un bon coup sur le museau aurait certainement été efficace. L'animal n'était pas grand à proprement parler, Wufei savait que les loups pouvaient avoir une taille bien supérieure, mais dans sa situation, c'était encore bien trop grand. Il se rappela avec nostalgie le chihuahua de sa tante Margaret, une anglaise un peu farfelue.
Heero, qui trouvait que le journaliste restait un peu trop calme, s'approcha en grondant. Les oreilles couchées, les dents découvertes et le poil légèrement redressé sur le dos, il offrait l'image d'une bête très agressive. Il vit Wufei réfléchir une fois encore à ce qu'il convenait de faire, mais avec plus de nervosité cette fois. Rien qu'à ses mouvements de tête, il devinait presque ses pensées. Un regard sur le sapin à ses côtés "Peut-être pourrais-je y grimper", un coup d'oeil sur une grosse branche un peu plus loin "Aurais-je le temps de l'atteindre", un coup d'oeil derrière lui "Est-ce vraiment une bonne idée de courir ?" En fait aucune de ces solutions n'était la bonne, il n'y avait pas de bonne solution. Wufei n'était qu'un être humain, et sans arme, il était aussi dangereux qu'un lapin, malheureusement pour lui, il n'avait pas la possibilité de détaler aussi vite. Heero avait pourtant espéré que l'instinct l'aurait bêtement poussé à la fuite, et ainsi éloigné, mais non, monsieur Chang faisait du zèle en réfléchissant à sa situation ! Heero, pressé de retourner près de Trowa, était furieux. Il n'avait même plus besoin de se forcer pour paraître dangereux. Il l'était. L'influence du loup était différente d'un métamorphe à un autre, chez certains elle ne faisait qu'exacerber une violence qu'ils intériorisaient en général avec succès. Débarrassé d'une partie du carcan moral que leurs imposait leur humanité, leur personnalité profonde prenait parfois le dessus. Et poussés par la nécessité de protéger la meute, leur compagnon ou leurs enfants ils se montraient de redoutables prédateurs. C'était le cas de Heero. Le seul commentaire de Wufei en voyant l'animal approcher fut un mélange de contrariété et de fatalisme exprimé de manière sommaire.
- Ho merde !
Sans que le Chinois puisse faire le moindre mouvement, le loup avait réduit en deux bonds la distance qui les séparait. Dans un dernier élan, la gueule grande ouverte, il sauta de tout son poids sur Wufei qui bascula vers l'arrière pour atterrir sur un tapis d'aiguilles de pin détrempé par la bruine. Dans un geste de protection il leva ses deux bras devant son visage et son cou. L'animal planta ses crocs dans son avant bras. Malgré la douleur le jeune homme pensa qu'il valait mieux enfoncer son bras plus avant dans la gueule du canidé pour essayer de lui faire mal et ainsi le pousser à le lâcher, plutôt que de tirer vers lui dans le vain espoir qu'il lâcherait prise. A travers les couches de tissus de ses vêtements il sentait les longues griffes de l'animal érafler sa peau. De sa main libre il chercha à atteindre les yeux mais dans le feu de l'action du se contenter d'une oreille qu'il tira de bon coeur. Le loup couina et gronda puis relâcha sa proie un moment. Wufei voulut en profiter pour saisir la branche épaisse à environ un mètre de lui. D'une torsion des hanches il se propulsa vers l'avant main tendue. Il constata très vite qu'il avait fait une erreur. L'animal lui bondit à nouveau dessus le clouant au sol mais cette fois sur le ventre. Il sentit sa gueule se refermer douloureusement à la jointure de son cou et de son épaule avec hargne. En sang, Wufei se contorsionna violemment pour tenter de le repousser mais en vain. Dans cette position il n'avait plus la moindre possibilité de se défendre. Environ trois centimètres le séparait de la branche. Il continua à tendre la main, ses doigts raclant le sol dans l'espoir de réduire cette distance ridicule mais il se rendit vite compte qu'il n'y arriverait pas. Au moment où il se décourageait, il sentit subitement le poids de l'animal disparaître. Dans un bruit de chute et de grondements furieux il vit deux loups rouler sur le sol, en un mélange de gris et de roux. Ils cherchaient à se mordre avec sauvagerie. Un tel déploiement de force et de hargne était impressionnant. L'Asiatique en profita pour se relever, saisir son arme de fortune et s'éloigner aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Dans sa précipitation il ne prit pas garde à la direction qu'il prenait. Lorsqu'il s'arrêta à bout de souffle, ce fut pour constater qu'il ne savait plus où il se trouvait, mais avant de s'inquiéter de cela, il resta l'oreille aux aguets pour s'assurer que les deux loups ne l'avaient pas suivit. Il avait dû beaucoup s'éloigner sans s'en rendre compte car il ne les entendait plus tout. Il tourna sur lui-même, cerné par les silhouettes sombres des arbres. Il était encore tôt mais la nuit commençait à tomber, logique pour un mois de novembre. Dans peu de temps il ferait totalement noir, les nuages lourds et gris avaient déjà assombri la journée. De plus la température baissait à une allure impressionnante. Wufei resserra les pans de sa veste mouillée et déchirée par endroit. Il maudit sa stupidité. Courir au hasard dans une forêt était d'une suprême bêtise. Il ne savait pas à quel point il était loin de la ville, ni même dans quelle direction elle se trouvait. Il essaya de se calmer pour réunir ses souvenirs. Il pensait s'être déplacé vers l'Ouest mais n'en n'était pas certain. Que faire ? Partir du principe que c'était le cas et se déplacer en sens contraire ? C'était prendre le risque de s'égarer d'avantage et surtout de retomber sur des bestioles tout aussi sympathiques. Elles fuyaient l'homme, tu parles ! Celles-ci en tout cas semblaient avoir eu une folle envie de nourriture exotique ! Avant que le soleil ne soit complètement couché, il profita de la luminosité déclinante pour examiner ses blessures. Dans l'ensemble, jugea-t-il, il s'en sortait plutôt bien. Il avait beaucoup saigné bien sûr mais le sang semblait déjà coaguler. Il faudrait juste désinfecter et faire les vaccins adéquats dès qu'il le pourrait. Il décida d'avancer un peu avant la nuit, ne souhaitant pas du tout la passer dans les bois. Au bout de quelques instants il distingua le bruit caractéristique d'une rivière, Heero y avait fait allusion lorsqu'ils avaient raccompagné Trowa. Il tenta de localiser le bruit pour s'en approcher. S'il parvenait à la trouver, il lui suffirait peut-être de la suivre. Il se souvenait qu'elle passait juste sur le côté de l'hôtel, par conséquent en bordure de la ville. Il marcha donc en direction de l'eau. Son avancée était lente car il devenait de plus en plus difficile de voir où il mettait les pieds. Une sorte de transition paraissait s'effectuer au niveau des sons. Ils devenaient plus présents et plus inquiétants. Un vent léger mais glacé agitait le sommet des sapins immenses, engendrant une mélopée étrange. De petits animaux allaient et venaient sans que l'on puisse les voir. Wufei n'aimait pas beaucoup cette ambiance qui le maintenait en alerte. Il finit par arriver en haut d'une pente vertigineuse qui descendait droit vers la rivière qu'il devinait en bas. Il poussa un soupir à l'idée de s'y risquer. Il n'y avait pas vraiment de prises et sans être complètement à pic, elle était tout de même abrupte. Dans la pénombre, ce serait bien plus difficile. Il décida donc de suivre la ravine d'en haut, après tout, tant qu'il pouvait voir la rivière, pourquoi risquer de se briser quelque chose. Ses morsures continuaient de le brûler mais il essaya de les ignorer. Tout en marchant, il préféra penser à ce qu'un magnifique tapis en peau de loup donnerait dans son petit appartement. Ce gris si particulier s'harmoniserait parfaitement avec la soie grise de son édredon. Curieusement le roux lui semblait trancher avec la décoration. Dire qu'il avait accepté ce reportage stupide pour respirer l'air pur et s'oxygéner ! Le prochain qui oserait lui parler des bienfaits du grand air sur la santé passerait un mauvais quart d'heure ! Tout à sa colère Wufei marchait plus rapidement. Il n'y avait rien qu'il souhaitait plus ardemment que de se mettre au chaud, au sec et en sécurité. Sans être un couard, les promenades, la nuit, dans une forêt abritant des loups et Dieu sait quoi encore, le motivaient très moyennement.
Heero relâcha sa prise sur la nuque de son compagnon de meute lorsqu'il réalisa avec horreur que si Duo se trouvait là, cela signifiait que Trowa était seul. Le loup roux profita de ce moment d'inattention pour lui mordre sournoisement la patte arrière. Le Japonais hésita à se relancer dans la bataille mais finalement renonça et abandonna Duo à sa rage pour courir ventre à terre vers Trowa. Duo ne le poursuivit pas car son épaule lui faisait bien trop mal après cette brève échauffourée. Il regarda autour de lui mais ne vit nulle trace de Wufei. Reniflant la terre il repéra son odeur et s'aperçu qu'au lieu de retourner vers la ville il s'était enfoncé plus profond dans la forêt. En boitant, il emprunta le même trajet. Il souhaitait s'assurer que l'Asiatique pourrait retrouver son chemin, il était si facile de s'égarer dans les bois. Il faisait bien trop froid pour y passer la nuit. Et même s'il avait des allumettes ou un briquet, l'humidité des branchages et du sol ne lui permettrait pas d'allumer un feu. Au bout d'une heure de marche il du admette que Wufei s'était de plus en plus éloigné. Parvenu au bord de la rivière il ne put que constater que le journaliste avait choisit la mauvaise direction. Au lieu de regagner la ville il se dirigeait vers la montagne, dans le noir, il ne s'en apercevait pas immédiatement. Seulement quand il réaliserait qu'il aurait du arriver à destination et qu'il se trouvait toujours parmi les arbres. Duo s'assit sur son arrière train pour réfléchir mais surtout parce qu'avec la pluie qui tombait maintenant à verse la piste du Chinois s'était effacée. Ce n'était pas grave en soi puisqu'il avait probablement continué à remonter la rivière, mais Duo s'en voulait d'avoir abandonné Trowa alors qu'il était si mal. Il avait laissé un membre de la meute pour protéger un étranger, c'était un acte qu'on ne lui pardonnerait pas facilement. Heero appellerait sans doute Quatre pour pallier son absence mais cela ne changerait rien à sa conduite. Et le pire c'est qu'il ne la regrettait pas. Wufei était seul, et s'il avait bien des qualités, il restait un citadin. Et puis c'était la faute de Heero, pourquoi s'était-il montré si implacable ? Peu après le départ du Japonais, Duo avait redonné une infusion à Trowa et celui-ci s'était tout de suite rendormi, de toute évidence ses forces l'avaient abandonné. Puis il avait entendu les bruits de la bataille et il avait soupçonné Heero de ne plus seulement chercher à effrayer Wufei. Chassant ces pensées dérangeantes il reprit sa route. Il s'éloigna du bord de la ravine qui devenait dangereusement glissante. Au bout de trois quarts d'heure de marche il s'arrêta à nouveau. Ce n'était pas possible que Wufei ait continué si loin, à ce stade il s'était forcement aperçu de son erreur. Pourtant s'il avait fait demi-tour il l'aurait croisé. C'est alors qu'une certitude horrible le traversa : Wufei était tombé. Quelque part en chemin il avait dévalé la pente immense jusqu'aux berges de la rivière. Mais où ? Il y avait des kilomètres et plus d'odeur. La seule possibilité qui s'offrait à lui c'était de descendre malgré le risque que cela représentait avec seulement trois pattes valides. Le loup, interrompu dans ses pensées et surpris, vit un petit écureuil descendre d'un arbre et passer devant lui sans manifester la moindre crainte. Il s'agita, poussa de petits couinements puis planta ses petits yeux marrons dans ceux de Duo. En temps normal le canidé serait déjà en train de lui courir après, pour le plaisir de la chasse, et le rongeur le savait de par son instinct... Alors pourquoi un comportement si étrange ? Il se demanda vaguement si c'était un écureuil suicidaire, mais il sentit aussitôt quelque chose d'anormal se dégager du petit mammifère, et pas seulement de lui mais de la forêt tout entière. C'était comme de douces vibrations qui semblaient se répandre. Comme si chaque élément vivant s'harmonisait au coeur d'une même force. Sans l'avoir jamais vu ni ressentit Duo su ce que c'était. Il le sut parce que quelque part c'était dans ses gênes, parce qu'il appartenait à cet écosystème et parce qu'il avait entendu bien des légendes indiennes en parler. L'Esprit de la forêt. Pas un petit elfe ou autre mythe, non. La force de vie à l'état pur. Chaude, puissante et d'une certaine manière effrayante. L'écureuil couina encore pour attirer son attention et Duo, sans comprendre, le suivit sur environ un kilomètre. Là, le rongeur descendit jusqu'à la rivière. Duo lui emboîta le pas. Glissant par moment, il aperçut plus bas des rochers... Et au milieu d'eux le corps de Wufei. Un ours immense, un grizzli de près de quatre cent kilos, était couché à ses côtés, presque sur lui. Duo ne se demanda même pas ce qu'il ferait face au plantigrade, ni même ce que l'animal faisait là au lieu de dormir dans sa tanière, il y alla. En temps normal il l'aurait évité comme la peste. L'ours ne réagit pas vraiment à son approche, il s'éloigna juste du Chinois. Il resta un peu en retrait sans manifester la moindre agressivité. Duo reprit sa forme humaine sans que le grizzli ne manifeste le moindre tressaillement. Le jeune homme s'agenouilla aux côtés de wufei pour le prendre délicatement dans ses bras, ignorant la douleur. Grâce à l'ours son corps avait maintenu sa température. Une plaie sur son front saignait abondamment, mais c'était un miracle qu'il soit toujours en vie et en un seul morceau. Un miracle que Duo ne comprenait pas. Qui serait un jour en mesure de lui expliquer pourquoi l'Esprit de la Forêt avait protégé Wufei ? Personne. C'était ainsi, et pour lui c'était déjà bien suffisant, car les miracles ne s'expliquent pas ils se respectent.