Auteur : Liam63
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Disclaimer : Rien n'est à moi.

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CANIS LUPUS

Chapitre V

L'immense maison "familiale", auréolée de lumière argentée, étendait sa sombre silhouette sur une partie du jardin et du lac tout proche. Elle s'imposait sur deux étages, plus les combles. Son actuel propriétaire, Treize kuschrénada, n'y avait apporté aucune modification en dehors d'une superbe volière, témoignage de sa passion pour les oiseaux. La bâtisse ancienne, aux murs à peine érodés par les ans, était d'une facture simple mais harmonieuse. L'ancêtre de Quatre, premier chef de meute, ici, à Wolf Lake, avait veillé à ce que la construction soit solide, et à ce qu'elle résiste au temps et au climat parfois très rude de la région. En fait, la maison, aussi belle soit-elle, n'appartenait à personne. Elle passait d'un chef de meute à l'autre. Lorsque celui-ci décédait, ou qu'il était remplacé par un loup plus jeune et vigoureux, la famille devait abandonner l'endroit pour s'installer ailleurs. "Ailleurs" ne concernait bien évidemment que le comté, car il était absolument interdit aux loups de s'en éloigner. C'était une de leur loi, et elle était incontournable. Aucun loup ne quittait la belle prison boisée de Wolf Lake. En aucun cas, la meute ne devait s'éparpiller. Tout jeune, ils apprenaient que leur survie dépendait de leur unité, de leur hiérarchie et du secret absolu quant à leur existence. Seuls, ceux qui restaient humains, pouvaient quitter la région. Au milieu du jardin, Duo stoppa sa course laborieuse pour humer l'air, mais surtout pour se reposer. Son épaule droite l'élançait douloureusement, et son train arrière commençait à manifester une certaine faiblesse. Le trajet de la maison jusqu'à l'hôtel, et inversement, ne lui avait jamais semblé aussi long. Il se faufila entre les buissons bien coupés qui ornaient le parc, puis gagna enfin la maison. En voyant le bureau de son beau-père encore éclairé, il compris qu'il ne pourrait pas regagner le doux refuge de son édredon, sans que son aîné ne le voit, et ce, pour la simple raison, qu'il ne s'enfermait dans cette pièce que lors de ses entretiens.

Treize, assis derrière sa table de travail, regarda par la porte restée ouverte, le loup de couleur fauve, rentrer de son expédition nocturne. Il le vit traverser le hall, puis entreprendre l'escalade des marches qui conduisaient à sa chambre. Duo boitait toujours énormément, et il en éprouva une certaine culpabilité, même s'il n'était pas directement responsable. Le jeune homme avait tout fait pour provoquer un affrontement où il ne pourrait qu'avoir le dessous. Treize était un loup plus âgé, et donc plus expérimenté. Il bénéficiait également d'une taille imposante par rapport à ses congénères, ce qui en cas de combat, lui assurait la victoire. Duo lui en voulait énormément depuis leur séparation et comme toujours, il avait exprimé sa colère par la violence. Cette facette du caractère de son beau-fils leur avait attiré bien des ennuis à Hélène et à lui au cours des ans, mais d'un autre côté, il était si généreux, si câlin et si loyal qu'il était impossible de ne pas l'aimer. Et c'était peut-être bien là le problème. Treize avait toujours été enclin à lui pardonner son inconduite. Sa compagne, la mère de Duo, lui avait souvent reproché sa faiblesse face à cet enfant espiègle et désobéissant. Il avait besoin de l'autorité d'un père, ne cessait-elle de répéter, et non d'un papa gâteau. Mais lorsque le petit Duo lui offrait un seul de ses sourires désolés en guise d'excuse, Treize se sentait fondre et n'avait plus le courage de le gronder. L'enfant venait alors se blottir contre lui, et tous deux restaient ainsi, à contempler la nuit, les oiseaux, ou parfois rien. Ils étaient juste là, avec leur besoin respectif d'affection. Treize éprouvait une profonde nostalgie quand il repensait à cette période de sa vie, certainement la plus heureuse... Tout lui paraissait si simple alors, il avait toujours une réponse aux questions incessantes de son beau-fils. Mais les choses s'étaient compliquées lorsque Duo était devenu un adolescent, puis un jeune homme. Peu à peu l'amour qui les unissait s'était fait plus charnel, emprunt de désirs inavoués et de passion frustrée. Ce n'était que peu de temps avant sa mort que son épouse avait véritablement compris à quel point son époux était faible lorsqu'il s'agissait de Duo. Elle ne lui avait fait aucun reproche, comme à son habitude elle s'était montrée compréhensive et forte pour tous les trois. Elle avait accepté le fait que son mari et son fils couchent ensemble avec la grandeur d'âme et la noblesse qui avait dirigé toute sa vie. Elle avait fait en sorte que son fils ignore toujours qu'elle ait su quoique ce soit, elle se refusait à le culpabiliser. Hélène savait que sa mort serait déjà une épreuve épouvantable pour son fils, et elle ne voulait pas entacher le souvenir qu'il aurait d'elle par des révélations, qui de toute manière, n'auraient servi à rien. Treize poussa un soupir, puis se frotta les yeux, de l'index et du pouce. Dieu que Hélène lui manquait ! Il se sentait si fatigué et il avait tant besoin de ses conseils... Cette après midi Duo ne s'était pas donné la peine de descendre dans son bureau comme il le lui avait ordonné. C'était là une ultime provocation qui l'avait mis hors de lui. Il avait grimpé les escaliers au pas de charge pour trouver "ce petit enfoiré" allongé tranquillement sur son lit, son pied battant la mesure de Satisfaction. Ils avaient crié puis, sous forme de loup, ils avaient fini par s'affronter dans un combat échevelé. Son beau-fils y avait mis toute sa hargne, et Treize n'avait pu faire autrement que de se défendre pour au moins le tenir en respect. Les deux métamorphes s'étaient peu à peu déplacés vers le couloir, assassinant au passage une ou deux sculptures. Pour mettre un terme a tout cela, Treize avait essayé de saisir son cadet par le cou pour lui faire rendre gorges, mais Duo s'était violemment déporté sur le côté pour l'éviter, et il avait dévalé la totalité des marches. Fin des courses : Quelques contusions et morsures, mais aussi, hélas, une épaule déboîtée. Treize avait appelé le Docteur G et Trowa qui la lui avait remise en place aussitôt, lui recommandant du repos. Néanmoins, une fois encore, Duo avait négligé les recommandations de ses aînés. Au bout de quelques heures d'inactivité, il n'avait pas pu s'empêcher d'aller traîner. Treize aurait parié la totalité de sa fortune que ce loup stupide avait passé la moitié de la nuit devant l'hôtel où résidait ce maudit journaliste. Cela semblait une obsession, et toute la ville ou presque l'avait remarqué. Avec tout les loups disponibles dans la meute, il avait fallut que ce canidé insolent jette son dévolu sur un humain ; étranger et fouille merde professionnel par dessus le marché ! Au départ, Treize avait supposé qu'il s'agissait là d'une énième tentative pour le rendre jaloux, mais depuis cette nuit, il avait un doute. Le comportement de son beau-fils était différent, et ressemblait à un choix définitif. Il avait choisi Chang Wufei pour compagnon. Seul l'intéressé ne semblait pas au courant. Leur vie à tous risquait de se compliquer si Duo s'entêtait dans ce choix... Un peu inquiet pour la santé de son beau-fils, Treize prépara une tisane à base de plantes antalgiques, puis la versa dans un bol assez large où le loup pourrait boire. Il se présenta devant la porte avec une petite incertitude cependant, peut-être Duo lui en voulait-il toujours... Il frappa malgré tout, et fut surpris d'entendre une voix humaine lui dire d'entrer. Assis, complément nu, dans un grand fauteuil en velours bleu nuit, Duo fixa son "visiteur" avec des yeux fatigués.

- Le docteur G t'a dit d'éviter la métamorphose. Tu guérirais plus vite sous ta forme animale.

- Je sais... Mais...

Le jeune homme examina sa main d'un air triste.

- J'avais envie de me sentir humain.

- Tiens. J'ai pensé que cela pourrait te faire du bien. Son beau-père lui tendit le bol comme une offrande sacrée. Duo le remercia et commença à boire par petites gorgées pour ne pas se brûler. Il n'avait pas besoin de demander ce que c'était, il en avait reconnu l'odeur, pour la simple raison que c'était Quatre et lui qui préparaient les herbes, les écorces et les essences pour les soins de la meute.

- Où étais-tu ?

- Tu as perdu le droit de me poser ce genre de question. Tu as cessé d'être un père en devenant un amant, et tu as cessé d'être un amant en devenant un ex.

- Je suis toujours ton chef de meute.

- Et ça t'autorise à mettre ta truffe dans mes affaires ?

- Dans le cas Chang oui. Et tu as tord en ce qui concerne nos relations... Tu ne me considères peut-être plus comme un père, c'est ton droit même si cela m'attriste, mais tu ne peux pas m'empêcher de continuer à te considérer comme un fils. C'est pour m'emmerder que tu cours après le journaliste ?

- Non. J'admets que c'était vrai pour tout les autres mais Wufei c'est différent. A la seconde où je l'ai vu... Tu as déjà ressenti ça ?

- Oui. Avec ta mère. On ne peut pas qualifier mon amour de coup de foudre puisque nous nous connaissions depuis l'enfance, mais je l'aimais depuis l'âge de dix ans. Malheureusement elle a préféré ton père.

- Lui, tu ne l'as jamais apprécié hein ? Interrogea Duo avec une certaine ironie.

- Bah je n'ai jamais été très objectif sur la question.

Complices à nouveau les deux hommes se sourirent avec affection.

- En fait, je le détestais. Reprit-il en rigolant. Il était beau, intelligent, gentil, enfin heureusement il était pauvre et c'était un loup un peu malingre ! Un peu comme toi rajouta t-il sournoisement.

- Hé ! Je ne suis pas chétif ! Je suis seulement un peu plus petit que la moyenne et c'est ce qui fait de moi le loup le plus mignon de la meute ! Treize passa une main tendre dans les cheveux de son beau-fils.

- Tu devrais t'allonger.

- Tu n'aurais pas une idée scandaleuse derrière la tête par hasard ?

- J'en ai plein, mais je ne suis pas un butor qui abuse de personnes physiquement déficientes. En réalité je pense qu'il faut que tu te reposes. Ce n'était pas raisonnable d'aller à pieds jusqu'en ville. Tu aurais du reprendre ton apparence humaine et y aller en voiture.

- Je ne voulais pas qu'il me voit. Enfin si, mais pas en tant qu'homme... Je crois que j'ai envie qu'il m'aime aussi sous cette forme.

- Tu n'es même pas sûr qu'il t'aime sous l'autre !

- Je sais qu'il m'aime. Il doit juste en prendre conscience. Il est trop préoccupé par "le secret" pour s'adonner à la romance, mais s'il laissait tomber son stupide article cinq minutes ! Ce type est une vrai machine à fabriquer des questions !

- Il n'est jamais très loin de la vérité en plus, heureusement pour nous, son côté abominablement cartésien l'empêche de trouver la réponse. Tout cela rend votre relation impossible Duo, il faut que tu l'acceptes. Wufei Chang n'est pas pour toi et tu n'es pas pour lui.

- N'importe quoi !

- Très bien ! Alors explique-moi un peu ! Tu comptes t'y prendre comment pour lui avouer ce que tu es, et dans la foulée l'empêcher d'aller le crier sur tous les toits une fois qu'il aura quitté notre ville horrifié ?

- Je ne sais pas... S'il m'aime...

- Vous vous connaissez depuis trois jours ! Il n'acceptera pas Duo. Ce que nous sommes ne fait pas partie de sa réalité.

- Ca pourrait changer !

- Ça pourrait le détruire !

- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu n'as pas toutes les réponses ! Tu ne le connais même pas !

- Toi non plus. Excuses moi mais on ne connaît pas une personne en trois jours.

- Parfois si.

- Tu te rends compte de ce que tu lui demandes ? Crois-tu qu'il soit près à découvrir notre existence ? A vivre et à faire l'amour avec l'un de nous ? A rester toute sa vie à Wolf Lake ? Lorsqu'il sera au courant je ne permettrais pas qu'il quitte le comté, il finira ses jours ici comme nous tous ! Alors en réfléchissant sereinement, penses-tu qu'il t'aime à ce point ?

- Avec du temps...

- Il part après demain.

- Tu vas le laisser écrire son article ?

- Que puis-je faire pour l'en empêcher ? Il n'a rien découvert d'assez important pour que nous lui fassions du mal. Son petit article attirera peut-être quelques timbrés mais dans l'ensemble il passera inaperçu. Ce que j'aimerais savoir c'est comment l'idée de venir chercher des loups-garous précisément ici lui est venue... Tu le sais ?

- Je crois que c'est son rédacteur en chef qui lui a demandé. D'après ce que j'en sais, il a accepté seulement pour changer d'air.

Treize se pinça le lobe de l'oreille entre le pouce et l'index, c'était chez lui signe d'intense réflexion.

- Ses frais lui sont payés ?

- J'en sais rien, je ne lui ai pas demandé ! Tu as de ces questions ! Qu'est-ce que ça peut faire ?

- Tu ne trouves pas bizarre que l'on gaspille de l'argent pour un simple article sur quelque chose qui n'est pas censé exister ? Et ici, où justement il y a des loups-garous. Duo pencha la tête. Jusque là il avait été si obsédé par Wufei qu'il ne s'était pas posé ce genre de questions, mais en toute honnêteté Treize n'avait pas tord. Ce n'est pas comme si on lui avait payé un voyage sur un haut lieu du paranormal comme Amityville ou Rose red. Wolf lake était juste une petite ville de campagne, tranquille et remplie de péquenots, du moins était-ce ce que les citadins étaient censés penser.

- On pourrait l'aiguiller sur la maison de Mary Jenkins. Treize dévisagea son beau-fils un rien surpris par son idée.

- Ben oui, elle est à la limite du compté, donc suffisamment loin de chez nous. Une maison hantée, avec toute une histoire, ça intéressera forcement un journaliste sur le paranormal. Et puis ça, les gens se feront un plaisir de lui en parler. S'il refuse de s'y intéresser ce sera suspect.

- Elle n'est pas hantée ce sont des conneries !

- Ce n'est pas l'avis de tout le monde. Et puis on s'en fiche qu'elle soit hantée ou pas. Ça détournera peut-être son attention. C'est vrai, sur les loups-garous il rame un peu. Constata Duo avec humour. Il devrait être content de pouvoir se rabattre sur autre chose.

- Tu as raison. Treize se leva et déposa un baiser sur sa joue. Demain j'essaierai de le coincé à l'heure du petit déjeuner pour lui glisser l'idée.

- Si tu le permets c'est moi qui déjeunerais avec lui. Je n'ai aucune confiance en toi. Tu serais capable de le séduire.

- Je te signal que tu es le seul homme avec lequel j'ai couché. Je préfère les femmes.

- Tu veux dire que j'étais le premier ?

Son beau-père hocha la tête pour acquiescer.

- Ça explique pourquoi tu t'y es pris comme un manche et pourquoi ça m'a fait si mal !

- Salaud !

Pour effacer l'air moqueur du jeune homme Treize lui donna une claque à l'arrière du crâne puis repris son sérieux.

- En fait je ne voulais pas t'en parler avant demain, pour que tu passes une bonne nuit, mais Quatre t'attend demain, vers dix heures, chez Trowa. Sa transformation a commencé.

- Et c'est seulement maintenant que tu me le dis ! J'y vais.

- Non. Sa voix claqua dure et froide dans le silence de la nuit.

- Il n'a pas besoin d'un éclopé pour le seconder. Tu vas dormir, prend une tisane s'il le faut, et demain, lorsque tu seras en forme, tu iras. Dans ton état tu ne serais d'aucune utilité.

Duo lui jeta un regard furieux mais capitula.

- Ça se passe comment ?

- Pas très bien. Mais Zech et Heero sont aussi là bas.

- Dis donc, Trowa était avec Wufei ce soir !

- Je sais. On a frôlé la catastrophe, mais Heero a sauvé les meubles. Il est bien, il fera un très bon chef lorsque le moment sera venu.

- Certains ne l'accepteront pas.

Treize eu un sourire suffisant.

- Le seul autre prétendant valable c'est Quatre, et ça ne l'intéresse pas. Les autres sont tous des chiffes molles ou des arrivistes avec autant de cervelle qu'une éponge. Ils feront ce que j'ai décidé comme tout le monde dans cette ville.

Duo ne poursuivit pas cette conversation, ce soir, elle ne l'intéressait pas vraiment. Il était trop inquiet pour se concentrer sur autre chose que Trowa. Il ressentait une peine immense à l'idée de ce que son ami était en train d'endurer. Il regrettait son comportement puéril avec Treize, s'il ne s'était pas blessé bêtement il serait près de lui à l'heure qu'il est.

 

A suivre...

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