Mea culpa
chapitre 2
Depuis plus d'une semaine, le temps était d'une grisaille sinistre, à l'image des sentiments de Wufei. Un froid sec s'était installé sur toute la région, et cette nuit là, le Chinois était enfoui sous ses édredons autant pour se protéger du froid que de la réalité. Lorsqu'il émmergea de l'oubli que procure en général le sommeil, ce fut pour constater qu'il éprouvait une étrange sensation de légèreté dans tout le corps. C'est elle qui avait prédominé sur la peur lorsqu'il s'était retrouvé le nez collé au plafond. Il ne ressentait plus la douleur qui lui vrillait le dos en permanence ni la lourdeur de son enveloppe charnelle. Le premier instant de surprise passé, il constata qu'il pouvait bouger. Il se retourna sans en avoir vraiment conscience, et réalisa avec stupéfaction qu'il se trouvait au dessus de son lit... Il flottait... Il examina son corps pâle et un peu amaigri qui reposait sous les couvertures. C'était si étrange... Sur le côté, contre le mur, Trowa sommeillait dans un lit de camp. Sur la table de nuit le réveil lumineux indiquait deux heures et quinze minutes. Il perçut un mouvement en direction de la fenêtre et n'eut pas besoin de tourner vraiment la tête pour constater que Meiran se tenait dans un coin, assise dans un vieux fauteuil en osier. Là encore il ne ressentit pas la peur, juste la joie de revoir son beau sourire et ses yeux perçants, qui semblaient détenir bien des secrets. C'est à ce moment qu'il prit conscience que l'obscurité n'entravait plus sa vision.
- Je suis mort ? Il ne put empêcher une pointe d'espoir d'affleurer dans sa voix.
- Non. Ton corps astral s'est détaché de ton corps physique mais c'est temporaire.
Du doigt elle lui indiqua le cordon de couleur argent qui reliait ses "deux corps".
- C'est ce que l'on appel familièrement un voyage astral. Ton âme a voulu échapper momentanément à sa prison de chair. Tu ne devrais pas être aussi détaché vis à vis de ta mort.
- La mort me semble préférable à la vie que j'aurais désormais.
- Ni toi ni moi ne connaissons ton avenir Wufei. Il se peut que tu recouvres très bientôt l'usage de tes jambes. Et même si ce n'est pas le cas tu ne dois pas mourir. Tu n'es pas prêt.
- Pas prêt ?
- Tu es couvert de sang du sommet de ton crâne aux orteils. Tu n'as pas fini ton évolution ici bas. Décéder maintenant serait un échec. Je sais que tu penses au suicide mais tu ne dois pas Wufei. Ce serait aller contre ce qui a été décidé pour toi. Il y a une raison à chaque épreuve.
- Tu n'es pas là pour me guider vers l'autre monde alors...
- Non, c'est dans la vie que je dois te guider. Et ce n'es pas un boulot facile tu peux me croire ! J'ai beau m'époumoner pour te hurler des conseils tu ne les entends jamais. Ta colère t'en empêche. Je t'ai vu changer sans pouvoir intervenir... Te perdre dans tes illusions... Ce n'est pas la violence et la solitude qui te rendront fort. La véritable force prend bien des visages et l'un d'entre eux consiste à accepter ce que l'on est.
- C'est toi qui me répétais constamment que nous devions nous battre !
- Nous battre oui mais pas de cette manière. Tu es un guerrier et c'est comme tel que tu dois affronter l'ennemi. Toi, tu ne rêves que de destruction, tu dissimules ton désir de vengeance et ta peur derrière des idées de justice. Ce n'est pas nous faire honneur.
- Tu racontes n'importe quoi !
- Et les cadets du lieutenant Norin ? Tu crois qu'il était juste de déposer une bombe près de leur dortoir et de les assassiner dans leur sommeil ?(1) C'est du terrorisme Wufei, et quoiqu'on en dise le terrorisme n'est rien d'autre qu'un meurtre. Tu ôtes à l'adversaire toute possibilité de combat. Il n'y a aucun honneur dans un tel geste bien au contraire. Tu aurais du détruire uniquement les armures cette nuit là. A présent tu vas devoir porter toutes ces morts comme un fardeau et pas seulement dans cette vie si tu décèdes aujourd'hui.
- Et qu'est-ce que cela changera si je meurs plus tard ?
- Peut-être tout. Cela te laisse une chance de rééquilibrer ton karma. Tu ne fais que te débattre et tu refuses tes besoins réels. C'est vrai qu'il faut être prêt à se battre et à mourir pour ses convictions, mais il n'y pas que cela dans la vie.
Cette conversation commençait à le lasser. Il n'avait aucune envie de discuter de ces choses là avec elle. Il l'observa un moment, en silence, et se rendit compte qu'il avait oublié à quel point elle était belle. Il croyait vénérer son souvenir, mais si on lui avait demandé la veille de la dessiner il en aurait été incapable, et pas seulement parce qu'il pratiquait le dessin avec autant de talent qu'un pingouin joue au tennis, mais bien parce que ses traits s'étaient noyés dans l'oubli.
- Je peux sortir de cette pièce ? Le cordon pourrait-il se rompre ?
- Tu peux aller où cela te chante. Enfin tant qu'aucune âme égarée n'essaie de s'emparer de ton corps.
- Ce ne serait pas très avisé de sa part.
- Crois-tu ?
Wufei haussa ses épaules translucides avec mauvaise humeur et quitta la pièce. Dans le couloir, il hésita sur la direction à prendre, ne sachant pas quoi faire de cette libertée si soudaine. Il s'arrêta devant l'autre chambre, aux aguets... Il entendait des voix que la cloison trop mince de la porte ne parvenait pas à étouffer. Avec un sourire canaille, il profita de son nouvel état pour aller espionner Heero et Duo.
- Allez Duo... Suppliait le Japonais alors qu'il caressait le corps de l'Américain comme s'il avait six mains. Son compagnon donna une claque sur la droite qu'il jugeait tout à fait impudique.
- Je t'ai dit non.
- Ça fait déjà une semaine ! Et je t'ai dit que j'étais désolé...
- Et tu crois que c'est suffisant ? Tu as lâchement profité de mon sommeil pour me manipuler.
Heero embrassa son amant sous l'oreille, là où se dissimulait son point faible. Malgré les protestations de Duo, lorsque l'Asiatique posa sa main sur son sexe il vit bien que l'Américain avait envie de lui. Il redoubla d'attentions.
- Heero...
- Hum...
- Tu n'es qu'un tricheur...
Pour toute réponse Heero colla son corps au dos de son partenaire, mimant de manière lascive l'acte d'amour avec son bassin, tandis que sa main allait et venait sur le sexe en érection de Duo. Celui-ci poussait de petits gémissements et toute envie de dire non semblait l'avoir déserté.
- Je savais bien qu'ils ne s'ennuyaient pas ces deux là ! Ricana Wufei.
- Chang Wufei tu devrais avoir honte ! Cria Meiran.
- Oui sûrement.
Sans tenir compte des récriminations de son épouse il s'installa sur une chaise d'où il pouvait avoir une vue imprenable sur le lit.
- Tu n'as pas le droit de faire cela, Viens ici tout de suite !
Le chinois l'ignora totalement. Il pencha même la tête pour avoir un meilleurs angle du vue.
- Tu aimerais que quelqu'un t'espionne dans ton intimité ?
- Je n'en ai plus d'intimité depuis que je suis paralysé. Tu ne veux pas te taire ? Pour une fois que je m'amuse, j'avais oublié à quel point tu étais une onna horripilante !
- Et c'est lui qui dit ça !
- Il est en train de lui mettre ses doigts dans le... Hé mais pousse toi de là je n'y vois plus bien !
Meiran avait posté son corps opalescent entre Wufei et le lit. Les mains sur les hanches et les lèvres pincées elle semblait furieuse. Wufei se rappela vaguement du chat siamois auquel il avait voulut donner un bain lorsqu'il n'avait que dix ans. Il s'était retrouvé avec le visage et les bras couverts de griffures.
- Je peux savoir pourquoi un homme qui n'apprécie que les femmes soi-disant, aime regarder ses deux amis faire l'amour ? Tu n'es qu'un voyeur frustré.
Wufei se leva brusquement comme si on lui avait piqué ses magnifiques fesses diaphanes, et fusilla la jeune fille du regard. Lorsqu'il était contrarié, ses beaux yeux noirs en amandes avaient une lueur à vous donnez envie de creuser un trou pour vous enterrez vous même, et il le savait. Désappointé, il dû néanmoins constater que cela n'avait aucun effet sur sa défunte épouse.
- Ce n'est pas la peine de me regarder comme ça, tu ne me faisais déjà pas peur de mon vivant alors maintenant ! Sortons d'ici.
Il soupira et la suivit non sans jeter un dernier regard au visage extatique de Duo en repassant la tête à travers la porte.
- Il a drôlement l'air d'aimer ça.
- WUFEI ! Hurla la jeune femme déjà dans le salon.
- J'arrive ! Il est là l'autre.
L'autre désignait Quatre. Allongé sur le canapé il fixait à travers la fenêtre qui lui faisait face, une lune gibbeuse que des nuages dissimulaient en partie. Meiran, assise sur la table du salon, observait le jeune Arabe.
- Il a l'air infiniment triste tu ne trouves pas ?
- Il peut crever !
- Vraiment ?
Wufei renifla de manière méprisante et détourna la tête, donnant ainsi l'impression que la seule vision du jeune homme le dégoûtait.
- Et bien sois satisfait, c'est ce qui va lui arriver.
- QUOI ? Qu'est-ce que tu racontes ? Tu as dit que tu ne connaissais pas l'avenir.
- J'ai dit que je ne connaissais pas ton avenir. Mais je peux te montrer le sien...
Wufei eut subitement l'impression d'être emporté dans un violent tourbillon qui lui retourna l'estomac, bien que celui-ce n'ait pas de consistance. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, ils se retrouvèrent au milieu d'une pièce sombre, avec trois soldats et Lady Une. La première impulsion de Wufei fut de se tenir prêt au combat, puis il se rappela que personne ne pouvait les voir.
- Qu'est-ce qu'on fait là.
Meiran lui indiqua un point derrière lui. Le Chinois se retourna et comprit en une seconde quelle pouvait être l'intensité exact de la douleur. Il réalisa que tout ce qu'il avait connu jusqu'à aujourd'hui n'était rien comparé à la souffrance de son âme en cet instant. Quatre gisait attaché sur une table, nu. Son corps était couvert d'entailles, de profondes marques de brûlures et d'ecchymoses violacées presque noires. Ses ongles avaient tous été arraché, et son corps parcouru de spasmes, témoignait de récentes décharges électriques.
- Il a été violé et torturé pendant des jours. Cru bon de préciser Meiran.
L'un des soldat se tourna vers Lady Une.
- Il ne dira rien. Il est en train de mourir, c'est fini.
Wufei s'approcha. Il voulut passer sa main dans les cheveux de son ami mais elle le traversa. L'arabe ouvrit ses yeux fiévreux et les posa sur le chinois.
- Wu... C'était un son presque aussi faible que l'était le corps meurtri de Quatre
- Il délire. compléta le soldat.
- Il peut me voir ? Demanda Wufei à Meiran.
- Oui, parce qu'il meurt.
- Par... don... souffla Quatre.
Sans rien pouvoir faire d'autre que hurler Wufei regarda Lady Une sortir son arme et abattre Quatre d'une balle en pleine tête, ses cheveux blond à présent écarlate. Il se sentit de nouveau aspiré et tournoyer mais cette fois ce n'était pas la cause de ses sensations nauséeuses. Ils étaient à nouveau dans le salon. A la même place. L'Arabe continuait de regarder la lune sans la voir. Comme dans la salle de torture Wufei essaya de passer sa main dans les cheveux de Quatre et comme précédemment elle le traversa. Le jeune pilote sembla revenir à la réalité, il se redressa avec une lueur d'étonnement.
- Wufei... murmura t-il.
Sous le choc le chinois recula. Quatre examinait le vide autour de lui, inquiet. Il se leva et courut jusqu'à la chambre de l'asiatique. Il s'approcha du lit à pas de loup et constata avec soulagement que son ami dormait paisiblement.
- Il a senti ta présence à cause de son don. Il a du craindre que tu sois mort.
Wufei regarda Quatre passer la main sur son visage endormi dans une douce caresse. Il ne ressentit pas le touché mais une vague de bien être et un sentiment de sérénité l'envahit. Le blond pencha son buste vers lui, et murmura quelque chose que le chinois entendit parfaitement, bien qu'il ait eu l'impression d'être trop éloigné pour cela.
- Pardon...
Le jeune arabe resta un moment près du chinois. Il l'entourait d'une aura de tendresse et d'amour. Des sentiments qu'il s'empêchait de manifester le reste du temps. Il finit par se lever et s'éloigner de crainte que Wufei finisse par se rendre compte de sa présence.
- Pourquoi je ne me réveille pas ? Dès qu'il est entré dans la chambre j'aurais du me réveiller.
- Ton corps a besoin de repos. Il essaye de récupérer, de se soigner. Il a sans doute perçu la présence de Quatre mais il ne l'a pas analysé comme un danger.
- Et Trowa ?
- Ho lui, il fait semblant de dormir.
Et pour prouver ce que venait d'avancer Meiran le français ouvrit les yeux, eut un sourire presque imperceptible puis se rendormit. Wufei se tourna vers Meiran.
- Ce n'est pas inévitable n'est-ce pas ? Je veux dire ce que nous avons vu ? De toute manière je ne suis pas d'accord.
- Ho ! Et quand Chang Wufei n'est pas d'accord l'ordre même de l'univers doit changer ?
- Exactement.
- En fait ce que je t'ai montré est un futur possible mais l'avenir est toujours en mouvement,(3) un seul petit élément peut le perturber. Ce que tu as vu c'est ce qui arrivera à Quatre si tu te suicides. Donc la prochaine fois que tu songeras à mettre fin à tes jours, souviens toi que tu ne tueras pas que toi. Et franchement je ne crois pas que quiconque ici bas mérite de mourir ainsi.
- J'ai toujours su que tu étais particulièrement vicelarde. Une vraie vipère !
- Tu es tellement borné qu'il faut des arguments de chocs avec toi !
- Je te trouve bien insoumise avec ton époux onna.
- Je ne suis plus ton épouse Wufei, je suis ton guide et tu dois refaire ta vie. Tout le monde a besoin d'amour. Si tu poursuis dans la voie de la colère tu ne feras que te détruire. Arrête de courir au hasard comme un étalon paniqué. C'est un trésor que t'offre Quatre Raberba Winner. Le plus précieux qu'il y ait réellement sur cette terre. Tout le reste n'est qu'un leurre.
- Tu as tellement changé...
- Disons que là où je suis j'ai une plus grande connaissance de certaines choses.
- C'est comment après ?
- Tu le sauras en temps et en heure. Au revoir wufei.
- Et att...
Mais avec une sensation des plus étrange et un sifflement aigu wufei fut rappelé dans son corps. Il aurait voulu poser bien d'autres questions à Meiran. La garder près de lui encore quelques instants. Puis dans un sourire il réalisa qu'elle serait toujours à ses côtés. Il eut presque l'impression d'entendre sa voix le lui murmurer.
Cette nuit là il ne pu se rendormir, et cela lui laissa tout le loisir de réfléchir.
- Hé Barton ! Réveilles toi !
- Hein ? Tu veux aller aux toilettes ? Demanda -t-il en se levant, encore un peu endormi.
- Non. Je voudrais que tu m'aides à m'habiller s'il te plaît, et à m'asseoir dans le fauteuil roulant. Ensuite tous les deux nous pourrions aller sur la colline... Pour regarder le soleil se lever. J'ai envie de prendre l'air.
Trowa n'était pas certain de tout comprendre au film, mais il comprenait l'intrigue principale : Wufei avait décidé de se battre.
(1) Episode 4.
(2) oui maître Ioda...